ISLAMOPHOBIE D’ETAT : DE L’ABAYA À MERWANE BENLAZAR

CHAQUE RECUL PRÉPARE LE PIRE

Le 5 février 2025, la sénatrice Nathalie Goulet déclare en séance : "C'est un peu difficile d'expliquer que l'on ne peut pas mettre d'abaya à l'école et promouvoir sur le service public une tenue manifestement salafiste.”  Il s’agissait de légitimer l’éviction raciste de Merwane Benlazar, humoriste chroniqueur d’un seul jour sur France 5. Cette exclusion, annoncée par la ministre de la culture elle-même, fait suite à une campagne islamophobe d’ampleur portée par un large spectre politico-médiatique, de l’extrême droite à la “gauche” raciste, dans laquelle la droite officielle toujours plus en voie de fascisation a joué un rôle décisif, avec des sorties sidérantes.

Résumons ce scandale au script désormais bien rodé. Merwane Benlazar est appelé pour faire une chronique dans une émission télé du service public. Même chez les fascistes, personne ne trouve rien à redire à son contenu. Mais Merwane Benlazar s’appelle Merwane Benlazar, et il porte une barbe et un bonnet. Il n’en faut pas davantage pour que toute la France islamophobe lui tombe dessus. Ce n’est pas la première fois qu’une personnalité est attaquée parce que présentant des signes d’appartenance à la religion musulmane. Des attaques islamophobes contre Mennel à celles contre Merwane, en passant par celles qui ont visé la syndicaliste Maryam Pougetoux, les bases sont toujours les mêmes : un complotisme islamophobe. Qualifier les musulman·e·s de “frériste”, “islamiste”, “terroriste”, “salafiste” est une façon de prêter aux musulmanEs des desseins politiques cachés alors qu’ils ne font qu’exister. Comme toujours, après l’attaque raciste, on va fouiller les réseaux sociaux sur les 20 dernières années. Puis trouver “les preuves” que l’on cherche, quitte à zoomer sur ses photos pour analyser sa bibliothèque, éplucher les publications concernant la pratique religieuse, isoler une capture d’écran d’un propos en feignant d’ignorer le second degré… Son destin est scellé. C’est une affaire d’Etat. La ministre intervient. Mécanique ordinaire de l’injonction à l’invisibilité des musulman·e·s.

Reste que, en un sens, Nathalie Goulet a raison. "C'est un peu difficile d'expliquer que l'on ne peut pas mettre d'abaya à l'école” sans que cela ait des conséquences bien plus larges. Avec l'interdiction de l'abaya, ces suites ont été légitimées. Si un vêtement qu’on considère comme “musulman” est un problème quelque part, pourquoi ne le serait-il pas ailleurs ? Et pourquoi s’arrêter à tel ou tel vêtement, puisqu’il y a désormais des signes d’appartenance religieuse par destination ? Il faut prendre la mesure de ce qui vient de se passer autour de Merwane Benlazar, et de ce que cela signifie pour les musulman·es de France dans absolument tous les espaces de la vie sociale, de ce que cela autorise comme violence raciste. Dans une période de fascisation à grande vitesse, sur la base d’une impasse politique et sociale et sur fond de racisme de plus en plus décomplexé, cet épisode confirme l’urgence d’une réaction d’ensemble de haut niveau. Chaque recul prépare le pire.